S'il apparaît évident à tout observateur de l'industrie que Sony comme Microsoft partagent la même volonté d'allonger au maximum le cycle de vie de leurs actuelles consoles de salon, selon les sources citées par Kotaku, tous deux viseraient actuellement une sortie de leurs prochaines machines en 2014, bien que certaines sources évoquent que l'un comme l'autre pourrait ramener cette échéance à 2013 s'il se sent pressé. Jusqu'à présent, la sortie des différentes générations de machines, de la Xbox à la 360 ou de la Super Nintendo à la N64, par exemple, était traditionnellement espacée de 5 ou 6 ans, alors que ces dates porteraient les vies de la 360 et de la PS3 à respectivement 9 et 8 ans avant la sortie de leurs successeurs.

Une problématique essentiellement économique

L'un des insiders ajoute que s'il devait y avoir une nouvelle Xbox en 2013, il ne s'agirait que d'une 360 intégrant Kinect, et non d'une machine "next-gen" prévue, elle, pour 2014. Cette même source dit que Microsoft ne saurait même pas encore quelles composantes inclure dans une prochaine machine, et que les décisionnaires étudiant la question sont encore indécis quant à l'adoption d'une stratégie de "rentabilité au premier jour", comme celle adoptée par Nintendo avec la Wii, par opposition à la stratégie suivie jusqu'à présent d'un investissement lourd pour commercialiser à perte des machines très avancées technologiquement.

Billy Pidgeon, analyste pour la firme M2 Research, confie :

Je crois que nous allons voir un jeu de la poule mouillée* entre Sony et Microsoft. Sony ne lancera jamais un successeur avant 2014, et pourrait avoir à gagner si Microsoft se lançait en premier alors que la PS3 construit en Amérique du Nord et consolide une forte position en Europe. Microsoft affirme qu'il y a encore beaucoup à maximiser au sein de la Xbox 360 pour les développeurs, mais la PS3 pourrait avoir en cela un avantage fort.

Michael Pachter de chez Wedbush Morgan, lui, considère également les conséquences de la crise économique aux Etats-Unis dans l'équation, arguant que le lent redressement de la situation décourage Sony et Microsoft de sortir trop tôt de nouvelles machines chères :

Je ne crois pas que Sony ou Microsoft soient intéressés par une nouvelle console tant qu'ils peuvent avancer avec la technologie [actuelle], et ils ne voudront certainement pas lancer de machines à un prix d'entrée de 600 dollars. Il se peut qu'il faille attendre jusqu'en 2014 pour avoir des disques durs de 2 Teraoctets, des CPU ultra rapides, et des graphismes de pointe qui puissent être vendus à 400 dollars.

A l'évidence, s'il se vérifie que Nintendo lancera sa prochaine machine l'année prochaine (mars 2012 au plus tard ?), elle devrait donc bénéficier d'un champ libre d'une durée confortable, tout en amenant le constructeur au minimum au niveau des machines de ses concurrents actuels. Mais si cette machine devait rencontrer le succès, Microsoft et Sony deviendraient, selon Billy Pidgeon "tout de suite plus préoccupés par la prochaine génération".

L'angle des partenaires et des contenus

Reste un point à considérer dans tout ça, qui n'est pas abordé par ces différentes sources et l'article de Kotaku : la position des développeurs et éditeurs tiers de jeux qui fournissent une bonne partie du contenu de toute console traditionnelle.

Pour eux, il y a deux positions différentes : les éditeurs peuvent tirer avantage des nouvelles machines en se plaçant bien par rapport à leur sortie, bénéficiant des campagnes de promotion financées par les constructeurs, des leviers du buzz, et de l'appétit des "early adopters" rarement comblé par des line-up de sortie forcément minimes par rapport à une ludothèque développée plusieurs mois plus tard. C'est une stratégie qu'a pu montrer par exemple Ubisoft avec la Wii ou la 3DS.

De leur côté, les développeurs ont plutôt intérêt à ce que les machines actuelles bénéficient, comme le veulent Sony et Microsoft, d'un cycle de vie plus long. Ils maîtrisent mieux la machine, n'ont pas à réinventer ou redévelopper de nouveaux outils et moteurs coûteux en temps, en talent, et donc en finances (ou à payer de nouveaux logiciels middleware). D'un autre côté, et c'est sans doute LA carte que compte jouer une fois de plus Nintendo, l'apport de nouvelles idées bien implémentées, comme le furent le tactile de la DS ou la Wiimote de la Wii, suscite le désir de créativité et fait germer de nouvelles idées ; mais, bien souvent, la fraîcheur d'un concept s'avère commercialement moins facile à imposer qu'un bon gros blockbuster d'un genre connu, aux codes intégrés par tous et en particulier le grand public.

L'influence Apple, le modèle OnLive, et un avenir trouble

Si beaucoup ne semblent pas encore comprendre à quel point les acteurs périphériques à l'industrie du jeu sont importants, il n'en demeure pas moins qu'ils le sont, comme le montre aujourd'hui Apple avec ses supports iOS. En effet, et il semble que Nintendo l'a bien compris, le rythme auquel sortent des révisions rétrocompatibles des hardware Apple imprime déjà son influence sur le monde du jeu mobile. Les constructeurs de consoles actuels ne peuvent absolument pas suivre pour l'instant. Or, Apple séduit et crée un buzz récurrent et régulier autour de ses appareils. l'iPad 2 offre une puissance graphique neuf fois supérieure à celle du premier modèle, moins d'un an après la sortie de l'original, et on peut compter sur la firme de Steve Jobs pour continuer de progresser à vitesse grand V.

Même si le modèle Apple est très différent, que les jeux sur iPhone, iPad (ou tablettes et smartphones Android) se consomment différemment et offrent des expériences ludiques distinctes, et que ce ne sont pas à proprement parler des consoles puisqu'il s'agit d'appareils qui ne sont pas dédiés au jeu, les chiffres ne trompent pas : les 187 millions de possesseurs de ces supports jouent beaucoup dessus. Et quoiqu'on en dise, il ne reste toujours que 24 heures dans une journée. Le temps accordé par tout un chacun au divertissement vidéoludique n'est pas extensible, et il en va de même pour la bourse dans laquelle il faut piocher pour l'alimenter. Il y a, de fait, un point commun entre Apple et Nintendo, Sony ou Microsoft : tous s'adressent à de larges groupes démographiques aux habitudes changeantes, et aux moyens aussi limités que partagés. La société occidentale semble en outre aller de plus en plus vite, consommer de manière compulsive, et passer d'une mode à une autre de plus en plus rapidement.

Que dire également du modèle entièrement dématérialisé ? OnLive montre déjà qu'il est envisageable de jouer sans machine chère à acquérir, et nous savons tous que l'important dans le jeu vidéo, ce ne sont pas tant les formats sur lesquels ils tournent que les jeux eux-mêmes. Qui se souciera demain que son Assassin's Creed 4 ou son Call of Duty 12 tourne sur une machine achetée plusieurs centaines d'euros ou via un service accessible pour peu cher, sur lequel il pourra consommer à hauteur de ses besoins ? Du moment que l'expérience finale est la même, personne. Beaucoup s'accordent aussi à dire qu'Apple s'apprête à se lancer sur un nouveau marché, celui de la télévision connectée. Là encore, cela n'aurait rien d'étonnant : le constructeur fait déjà de l'écran, et dispose d'un atout majeur avec ses plates-formes de distribution dématérialisée, iTunes et l'App Store.

Au final, une chose est sûre : l'heure est à la réflexion pour la plupart des gros acteurs de l'industrie du jeu vidéo. Les choses avancent et changent à une vitesse de plus en plus importante, car la technologie, qui a toujours été au coeur de ce média, accélère elle-même dans de nombreuses directions différentes. C'est aussi ce qui rend tout cela passionnant, mais il est fort probable qu'en 2014, le paysage de l'industrie du jeu vidéo prendra, d'une manière ou d'une autre, un sérieux virage.

* Le jeu de la poule mouillée (Game of Chicken en anglais), c'est le jeu de celui qui perdra en craquant en premier.